Le numérique favorise-t-il l'engagement des jeunes dans la ville ? Avec Marie-Anaïs Le Breton
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Le numérique suffit-il à engager les jeunes dans la ville ? C'est la grande question
que Guglielmo et moi on s'est posé dans ce nouvel épisode d'Azerty.
Pour y répondre, nous avons eu le plaisir de recevoir Marie-Anaïs Le Breton, docteur
en aménagement de l'espace et urbanisme.
En juillet 2022, elle soutient sa thèse intitulée « Expérimentation numérique pour un urbanisme
participatif, une approche par la médiation et la coproduction de la ville avec les jeunes»
Au micro d'Azerty, elle nous raconte alors comment s'est déroulé son expérimentation
numérique, mais aussi comment les jeunes ont pu s'emparer, ou pas, des dispositifs
mis à leur disposition pour participer à l'aménagement de l'espace urbain de la
ville de Rennes.
Lorsque nous avons lu les titres de sa thèse, les mots expérimentation numérique et urbanisme,
nous nous sommes dit « Ah, là on parle de la smart city ». Du coup, un peu courrieux,
on est parti en essayant de comprendre ce que ça voulait dire ces mots-là.
C'est un terme qui vient du monde de l'entreprise et notamment à la fin des années 2000, il
y a un vrai enjeu pour les grands groupes, notamment numérique.
C'est celui d'aller chercher de nouveaux marchés, et notamment les collectivités
territoriales.
Et donc c'est vrai qu'on a une première définition de la ville intelligente ou de
la smart city qui va être l'association entre le numérique et la gestion de la ville,
où effectivement on va considérer que par les solutions numériques, par les applications,
les capteurs, on va optimiser la gestion et le développement de la ville.
Et en même temps, au moment où ce concept va s'importer, et notamment en Europe,
on voit une autre dimension apparaître, qui est plus proche des citoyens, et où l'intelligence,
ce n'est pas dans les outils numériques qu'elle repose, mais vraiment dans l'intelligence
collective, donc sur le faire ensemble, et dans ce faire ensemble, on va venir utiliser
des outils numériques.
Il y a une vraie différence entre d'un côté la smart city hard, et puis de l'autre
la soft.
C'est deux visions qui paraissent opposées, mais qui vont être complémentaires et travailler
de façon complémentaire sur certains territoires.
D'un côté, la smart city hard, c'est vraiment tout ce qui concerne les réseaux,
les réseaux visibles et invisibles, les capteurs, les infrastructures de gestion des
données, les plateformes, et puis de l'autre côté, dans le soft, on va être à nouveau
dans cette logique du faire ensemble à partir des outils numériques ou des lieux de fabrication
numérique par exemple.
C'est deux visions qui sont complémentaires, puisqu'en fait, des outils très hard,
des plateformes numériques par exemple, qui vont être développées parfois par des entreprises
du numérique, vont pouvoir être utilisées à des fins de concertation ou de participation
avec les habitants.
Et donc là, on est bien dans cette logique où on vient utiliser des outils pour la
participation ou pour faire de la médiation, et donc ce croisement entre le hard et le
soft.
Après derrière, il y a aussi des visions qui peuvent s'opposer.
D'un côté, une vision très technocratique de gestion de la ville par le numérique,
et de l'autre, une vision plutôt du faire ensemble et de la médiation, pour lesquelles,
pour ces visions-là, le numérique n'est pas une fin en soi.
Le numérique, c'est qu'un outil pour atteindre un objectif qui va être celui de
la ville inclusive ou de la ville durable par exemple.
Cette histoire de deux visions qui s'opposent, ça me fait poser une question.
Comment est-ce que tout cela fonctionne ? Est-ce que c'est la collectivité qui consulte
les citoyens pour mettre en place des dispositifs ? Est-ce que c'est les entreprises qui peuvent
implanter leurs solutions comme elles le souhaitent ?
Alors concrètement, il n'y a pas une ville intelligente, mais plusieurs modèles, plusieurs
formes aussi d'expression de la ville intelligente.
Moi pour ma part, je me suis plutôt intéressée au cas de Rennes-Métropole, et ce qui est
hyper intéressant dans le cas de Rennes, c'est qu'en fait cette réflexion sur l'utilisation
des outils numériques, elle a commencé dès les années 90, et dès la constitution
du district de Rennes-Métropole, on a eu l'expression « Rennes, vivre en intelligence » dès les
années 90, donc bien avant que le concept même de ville intelligente apparaisse.
Et c'est ce qui est assez intéressant, c'est qu'on est dans un écosystème local
où les entreprises ont eu un fort soutien, à la fois pour développer l'économie
de la connaissance et l'innovation depuis les années 80-90, et ce travail-là d'investissement
et de soutien, il s'est retrouvé tout au long de la construction de l'image et
aussi des projets de Rennes-Métropole, puisqu'on a eu des premières expérimentations d'usage
d'outils numériques pour la concertation par exemple, dès la fin des années 90.
Je pense notamment à Rennes-Cité-Vision, où pour la première fois a été employée
une maquette 3D numérique de la ville pour présenter aux habitants à quoi pourrait
ressembler la ville de Rennes dans un futur plus ou moins proche.
Et donc aujourd'hui, il y a des logiques préexistantes, il y a une habitude de travail
avec ces entreprises petites, moyennes et grandes à Rennes qui fait qu'on va avoir
une stratégie particulière, une trajectoire tout à fait particulière de ville intelligente.
Cette différence subtile entre ville intelligente et smart, je ne l'avais pas du tout, mais
elle a un porté non négligeable.
Du coup, je me demande, qu'est-ce qui motive les villes à employer des solutions numériques,
c'est-à-dire smart, pour la gestion de son territoire ?
Il y a plusieurs façons d'y répondre.
La première, une approche un peu plus critique, je dirais qu'on fait du numérique parce
que c'est un moyen d'être perçu comme une collectivité moderne, qu'on a réussi
à travailler avec les entreprises du territoire, ou avec des associations qui développent
aussi des outils numériques, et donc ça permet un certain affichage.
C'est intéressant aussi pour les acteurs qui vont se saisir des collectivités pour
faire valoir leur dispositif.
Maintenant, il y a aussi un vrai mouvement de fonds qui est celui du développement massif
des usages numériques dans le quotidien, des jeunes, des habitants, de tout le monde,
et donc la question se pose de savoir si ça ne serait pas un moyen justement pour permettre
de faire participer des personnes qui sont plutôt éloignées des espaces traditionnels
de la participation, de la délibération.
Ça peut paraître, pour certains, plus facile de s'exprimer par exemple via un réseau
social que d'aller à une réunion publique.
Ce que nous dit ici Marie-Anaïs Le Breton, c'est que le numérique peut favoriser la
participation.
Mais comment définir la participation ? Comment définir l'engagement ?
Je pense que du point de vue des collectivités, c'est donner les moyens de l'expression
et de l'association dans les transformations de la ville, mais aussi de ses politiques.
Dans ce cadre-là, les outils numériques sont mobilisés comme moyens.
Après, on a aussi du côté des citoyens eux-mêmes une volonté d'être associés plus largement
et plus souvent aux projets, que ce soit un projet qui concerne son quartier ou bien la
métropole.
On l'a vu avec Rennes 2030 notamment.
Quand j'ai fait d'autres projets dans ma vie, quand je disais engager par exemple les
coopérateurs, disons coopératifs, ça veut dire vraiment leur donner un pouvoir décisionnel.
J'ai l'impression que cette REDAS, ça va de la concertation, de la consultation.
C'est quoi la différence entre tout ça ?
En fait, dans les années 60, il y a eu des travaux très intéressants sur la participation
qui ont été menés, notamment dans le cadre de l'étude des luttes urbaines pour une plus
grande transparence des décisions et une meilleure association des habitants.
Et ça a donné lieu notamment à ce qu'on appelle une échelle de la participation qui
va de l'information, qui serait le niveau le plus bas de l'engagement, jusqu'à la co-construction,
la co-décision.
Moi, pour ma part, j'ai un petit peu du mal avec cette réflexion-là, parce que ça
serait considérer que l'information, ce n'est pas assez.
Or, ça peut être une première étape.
Et il ne faut surtout pas non plus penser que l'engagement, c'est forcément de la
co-construction.
Il y a parfois un refus aussi des citoyens à ne pas participer, ou alors des engagements
qui vont se situer ailleurs que dans les dispositifs participatifs qui sont proposés par la ville.
Et en fait, l'engagement, ça va être vraiment considérer cette pluralité de formes de
participation dans les échanges avec les acteurs de la collectivité, dans le fait
de s'investir à l'échelle de sa résidence.
Et tout ça, ça doit être pris en compte.
L'engagement du citoyen dans la ville aujourd'hui, il est protéiforme.
Et c'est tout l'enjeu aussi pour les acteurs publics, il me semble, que de réussir à intégrer.
Sinon, du moins, éviter d'invisibiliser ces formes d'engagement aussi, dans leurs
propres pratiques et dans leur manière de faire projet.
L'échelle à laquelle Marie-Anaïs fait référence s'appelle l'échelle d'Einstein.
Ce qu'elle nous dit, ce n'est pas tant que l'échelle selon elle et René, mais
qu'il faut considérer l'engagement non seulement verticalement, comme une échelle
du coup, mais aussi de manière circulaire.
Différents niveaux d'engagement s'écroisent sur différentes questions toujours liées
et des simples informations peuvent entraîner d'autres types d'engagement.
Si je comprends bien ce que nous dit notre invité, le numérique peut être un moyen
pour favoriser l'engagement du citoyen.
Mais pour les plus jeunes, comment ça se passe ? Il est temps d'entrer dans le cœur
du sujet de sa thèse, et pour ce faire, j'ai demandé à notre invité un exercice horrible,
celui de répondre clairement à une question compliquée.
La ville a-t-elle besoin d'être connectée pour engager les jeunes ?
Dans le cas des jeunes, ce qui est assez intéressant, c'est que ces dernières années, on a vu
des expérimentations ludiques, vidéoludiques notamment, justement pour essayer d'attirer.
Parce que la question des transformations urbaines, ce n'est pas forcément un sujet
qui va intéresser ou concerner directement les jeunes, en particulier les jeunes mineurs.
Du moins, c'est ce qu'on peut s'imaginer.
La ville telle qu'elle se fait depuis des années, avec les jeunes notamment, et avec
tous les réseaux d'éducation populaire, elle n'avait pas besoin du numérique pour être intelligente.
Donc la ville participative, inclusive, qui prend en compte les jeunes,
elle n'est pas forcément numérique.
Par contre, c'est vrai que ça peut être perçu comme un moyen de les faire venir.
Mais là, on est sur une question très intéressante et des enjeux méthodologiques très forts,
en fait, quand on s'intéresse au public jeune.
C'est cette double question de faire venir et d'aller vers.
Et donc quelles pratiques on va développer pour permettre cette rencontre ?
Le numérique, dans ce cadre-là, il est perçu comme un moyen facile, peut-être au départ,
par certains acteurs qui sont déconnectés aussi des réalités quotidiennes des publics jeunes,
et notamment les acteurs publics.
Mais à ce stade, il y a des choses à préciser qui m'échappent un peu.
Qu'est-ce qu'on entend par jeunes ?
Dans quoi on veut les impliquer exactement ?
Et surtout, comment on étudie un sujet aussi compliqué ?
Bref, avec Alexandre, nous posons un peu des questions sur le cadre de sa thèse.
Je pense que c'est important à ce stade de clarifier que ma thèse a démarré en 2018,
je l'ai soutenue en juillet dernier,
et elle a été co-financée par la région Bretagne et l'université Rennes 2.
Donc, ce n'était pas du tout une mission ou une commande de la part de la collectivité
ou de la métropole de Rennes que de m'envoyer sur ces sujets-là.
Ça a été plutôt une opportunité qui a fait que j'ai été amenée à me focaliser,
à faire une étude de cas sur la question de la participation des jeunes.
Assez rapidement, il y a une question qui se pose, c'est celle de la ville inclusive.
On part de la ville intelligente, et en fait, on arrive très vite à la ville inclusive,
parce que les outils numériques sont utilisés pour attirer des populations
qui ne participaient pas jusqu'alors,
et pour essayer de les intégrer à ces projets urbains participatifs.
Or, quand on parle de numérique, il y a une vraie association qui est faite dans les esprits,
qui est celle de les jeunes, ils sont tout le temps avec leur portable,
ils adorent le numérique, ils sont tout le temps sur l'ordinateur,
donc on va mettre du numérique et on va mettre des jeux vidéo pour les faire participer.
Et donc, j'ai eu cette opportunité de travailler dans deux espaces différents,
au sein du collège Rosa Parks, d'abord, dans deux classes de 5e et 4e,
et au sein de la maison de quartier Beauregard,
et on s'est posé la question de ce que faisait le numérique dans un mode projet.
Alors, au collège, l'objectif, c'était d'accompagner des adolescents entre 12 et 14 ans
dans la formulation de projets déposés au budget participatif de la ville de Rennes.
Et moi, pour ma part, ma question de recherche, c'était
est-ce que les jeunes vont utiliser du numérique à un moment donné pour concevoir leur projet ?
Et quand moi, je leur propose d'utiliser un outil numérique, comment ça se passe ?
Est-ce que ça les aide ou pas à s'impliquer dans le projet ?
Est-ce qu'il y a un plus fort engagement pour le projet ?
Et à la fin, qu'est-ce que ça donne ?
Comment tu t'y es prise, justement, pour mesurer l'utilisation
de ces solutions technologiques chez les jeunes ?
Alors, il y a deux choses, c'est que d'une part,
ce contexte-là, en collège, c'était vraiment une situation expérimentale de participation.
Et l'autre chose que je souhaitais préciser, c'est que moi, ma recherche,
elle n'avait pas pour but d'évaluer, ni d'évaluer l'engagement des jeunes,
ni d'évaluer l'intérêt du numérique dans tout ça.
C'était vraiment plus une approche compréhensive qui visait à démêler un petit peu
les liens qui unissent jeunes, projets, numériques, etc.
Et donc, comment ça s'est passé ?
Eh bien, j'intervenais toutes les semaines en classe d'histoire-géographie
et on travaillait dans un mode projet.
Donc, pour ce qui est de la méthode, on était dans une méthode de recherche-action
où les participants de la recherche, les jeunes, mais aussi l'équipe éducative
et puis les acteurs qui pouvaient s'associer au projet étaient véritablement acteurs de la recherche.
Moi, j'avais mes hypothèses de départ, j'avais des idées d'animation et d'atelier au départ.
Et en fait, la recherche-action a fait que tout ça, sans cesse, s'est réinventé, s'est réécrit.
Et c'est chemin faisant qu'on va construire nos méthodes et réécrire nos hypothèses.
Dans une recherche-action, le chercheur, il est acteur et les acteurs sont aussi chercheurs.
T'es arrivé, t'avais tes hypothèses de base,
mais après t'as construit au fur et à mesure avec les publics.
Du coup, les jeunes étaient engagés quelque part aussi dans la définition des objectifs, etc.
On va dire que l'objectif, c'était vraiment le dépôt d'un projet à la fin de l'année au budget participatif.
Il se trouve que sur les deux années de l'expérimentation, on n'a déposé aucun projet à la fin.
Pour autant, est-ce que c'est un échec ? Non.
Et c'est là l'intérêt de la recherche-action, puisque l'enjeu, c'est d'identifier pourquoi on n'a pas été déposé de projet.
Est-ce que c'était un refus de s'engager dans ce mode projet ?
Est-ce que c'était parce que finalement, les projets ne correspondaient pas aux standards imposés par le budget participatif ?
Ma prochaine question était justement comment t'as été perçue et comment ces études étaient perçues par ces jeunes,
les moments où t'es arrivé là au début ?
C'est vrai que c'est assez particulier, parce que quand on est doctorant, on est chercheur en formation,
on ne s'identifie pas encore comme chercheur véritablement.
Pour autant, on n'est pas étudiant.
Donc se présenter à des adolescents en expliquant qu'on est doctorant, c'est un premier travail.
Personnellement, moi, ce que je leur disais, c'est que je travaillais à l'université Rennes 2.
Et comme c'est le collège qui est situé à côté de l'université, c'était quelque chose qu'ils identifiaient.
Et donc ça passait comme ça.
Après, au-delà de l'enjeu de présentation, quand on est sur des questions de participation, d'engagement et de recherche-action dans ces situations-là,
il y a un vrai enjeu qui est celui de la confiance, des rapports de proximité qu'on établit avec les participants de la recherche.
Et donc c'est vrai qu'au-delà de la présentation, ça nécessitait quand même d'avoir des temps aussi informels
pour apprendre à se connaître et comprendre ce que moi, je venais faire dans leur classe
et ce qu'eux pouvaient faire pour ce projet.
Et parfois, ça amenait effectivement des situations de désengagement total.
Alors désengagement du point de vue de ce que je leur imposais,
du point de vue de la commande que je leur avais formulée pour autant,
on ne peut pas dire qu'ils étaient désengagés.
C'est juste que leur engagement, il se situait ailleurs.
Et c'est tout l'enjeu des questions de la participation.
C'est savoir où se situe l'engagement, où sont les préoccupations des individus.
Bon, à ce moment de l'entretien, dans ma tête,
j'ai rêvé de voir Marie-Anaïs au collège jouer à Fortnite au League of Legends avec les élèves.
Mais j'ai peur qu'en pratique, les activités étaient un peu différentes.
En pratique, c'était accompagner les usages qui allaient permettre de faire un projet.
Pour le coup, moi, rédiger un mail, ce n'est pas une commande que je leur ai formulée.
C'est quelque chose dont ils se sont emparés.
Ils ont perçu le besoin d'aller solliciter un service.
Et pour ça, ils ont pensé au mail.
Après, moi, ce que je pensais, c'était plutôt leur proposer, par exemple,
d'utiliser l'application Raincraft, qui a été créée par l'association 3 Hit Combo,
et donc de leur dire, vous voyez, on peut refaire votre quartier
et puis on peut représenter votre projet dans cet espace-là.
Puisqu'ils jouaient pour beaucoup à Minecraft, ça n'a absolument pas marché.
Et je pense que ce qui est intéressant là-dedans, c'est que si ça ne marche pas,
ce n'est pas parce que ça ne les intéresse pas et qu'ils délaissent l'outil.
C'est juste que d'un coup, on vient se saisir de leurs outils du quotidien
et des outils de détente, des outils ludiques qui amènent aussi des sociabilités amicales.
Et là, on les utilise dans un contexte scolaire.
Et en fait, ça ne colle pas du tout.
Peut-être qu'ils se sentent dépossédés, tu pourrais dire,
de choses qui leur appartiennent ou qui leur parlent ?
Je n'irais pas jusque-là, mais je pense que ça vient questionner l'innovation.
Et en fait, ce que nous, on perçoit comme innovation,
là, en tant que chercheurs sur le terrain, en disant que ça va être innovant
de mettre du numérique dans ses pratiques de projet,
finalement, ce n'est pas innovant pour eux.
Et donc, on en revient aussi à la question de l'innovation collective
et de l'innovation pour la vie intelligente.
Qu'est-ce qui est innovant ?
Qu'est-ce qui fait véritablement innovation et pour qui ?
Et je pense que c'est là la question à se poser.
Et alors, ce travail de recherche, il aboutit à quoi ?
Qu'est-ce que Marie-Anaïs peut nous dire sur ces résultats de recherche ?
Encore une fois, le genre de questions affreuses à poser à une docteure.
En fait, ce que la thèse, elle amène,
ou du moins ce que j'ai pu démêler de ces situations quand je les ai analysées,
c'est que la question à poser, ce n'est pas comment faire participer les jeunes
et est-ce que le numérique va permettre de les faire participer ?
C'est plutôt où se situe l'engagement des jeunes ?
Où se situent les manifestations de leur engagement ?
Où sont leurs intérêts ?
Et comment mieux les accompagner ?
Parce que leur intérêt, a priori,
tu ne l'as pas forcément trouvé dans des solutions numériques.
Alors clairement, le numérique, ce n'est pas ça qui a aidé à faire les projets.
Par contre, ça a été hyper intéressant du point de vue du développement
de certaines compétences et de l'affranchissement de certaines barrières.
Typiquement, rédiger un mail, qui plus est un service de la collectivité,
ce n'est quand même pas rien pour des adolescents.
Il y a à la fois la compétence numérique, de l'usage de l'ordinateur,
de l'usage de la boîte mail,
et on se rend bien compte là que ce n'est pas simplement l'outil numérique
qui va permettre la participation ou en tout cas qui va susciter quelque chose.
C'est vraiment ce que ça recouvre.
Et là, la question, c'est celle du lien entre un adolescent et entre un élu ou un service
qui sont en fait des sphères très éloignées de leurs préoccupations quotidiennes
et des individus qu'ils ne connaissent pas forcément d'ailleurs.
En général, quand ils se référaient à la ville ou autre,
ce n'était pas en disant la ville, c'était les adultes.
Il se trouve que depuis la dernière révision de la charte Rennaise de la démocratie locale
a été instauré et expérimenté depuis septembre dernier
des budgets participatifs pour réparer les enfants.
Et donc l'expérimentation est en cours dans le quartier Brekini.
Et il se trouve que la ville est arrivée aux mêmes conclusions
qui étaient celles de la fracture entre le monde des jeunes et le monde des adultes,
du moins le monde de la ville, qui peut être très loin,
des projets qui peuvent paraître très éloignés, mais qui impactent leur quotidien.
Et du coup, cette volonté de renverser un petit peu l'ordre établi de la participation
en donnant les cadres aux enfants et aux jeunes de construire leurs projets
et de s'emparer véritablement du budget participatif.
Et que ce ne soient pas les jeunes qui participent au budget participatif de la ville de Rennes,
mais qu'il y ait bien un axe et un chantier particulier.
Je trouve ça assez drôle que finalement, le numérique
ne soit pas cette fameuse solution qui engage les jeunes dans la ville.
Dans ce contexte, une certaine frustration peut même apparaître
en raison de l'appropriation de leurs outils et leurs codes par un public pluvieux.
Alors, une question revient encore et toujours.
Comment engager les jeunes dans la ville ?
Lors de notre discussion avec Marie-Anaïs,
j'ai repensé à notre épisode d'Azerty avec Guillaume Genest,
l'UX designer et concepteur d'interface.
L'une de ses méthodes de travail était la co-construction.
Alors, dans notre contexte, est-ce envisageable de co-construire un projet avec les jeunes ?
Alors, ce qui est assez intéressant, c'est qu'en menant cette recherche à action,
je me suis rendu compte que la co-construction,
comme la ville intelligente, ça recouvre 50 acceptations différentes.
En l'occurrence, pour eux, la co-construction,
et ce n'est pas un terme qu'on a évoqué ensemble,
mais le mode projet et proposer un projet pour sa ville,
ils le voyaient comme de la co-construction au sens où pour eux,
ils allaient pouvoir faire le projet.
Ils n'allaient pas juste le déposer sur la plateforme du budget participatif,
ils allaient le faire, ils allaient construire, ils allaient faire un chantier.
Et ça, ça a posé à un moment donné un problème.
Certains groupes qui pensaient qu'ils allaient réaliser leur projet comme ça,
qu'ils allaient faire de la co-construction au sens de chantier participatif,
se sont complètement désengagés du mode projet en comprenant que non.
En fait, le budget participatif, c'est le dépôt d'un projet sur une plateforme
et ce sont les habitants qui votent pour les projets.
En plus d'être potentiellement le groupe qui a l'idée,
ils voulaient vraiment devenir acteurs du projet ?
Complètement, et c'est ce qui est assez intéressant,
c'est que nous, de notre côté, en tant qu'adultes pour eux,
institutionnels ou chercheurs de la co-construction,
c'est le fait de travailler ensemble sur des projets,
d'avoir une idée qu'on construit collectivement
et d'aboutir à la réalisation de cette idée.
Mais on sait, à un certain âge, les logiques des projets d'aménagement,
on sait que ça va être réalisé par les services de la ville
et ça, du point de vue des adolescents, c'était pas clair.
Ça a pu freiner véritablement certains qui ont choisi de se désengager
et qui ont dit « c'est pas grave notre projet, on va continuer de travailler dessus. »
Mais par contre, on le fera par nous-mêmes et typiquement,
on ira écrire sur les murs ou on ira marquer des choses au sol
et tant pis si la ville, elle peut pas le faire, nous, on le fera
parce que pour nous, c'est ça.
Et on n'a pas envie non plus d'être soumis au regard des adultes.
Et il y avait une autre chose assez intéressante,
c'est que ces collégiens-là,
il faut aussi prendre en compte la spécificité du contexte,
qui est que ce sont des collégiens d'un collège de réseau d'éducation prioritaire
du quartier Ville-Jean et en fait, pour eux,
ils voulaient pas non plus que leur projet soit soumis au reste de la ville.
C'est-à-dire que pour eux, et notamment ceux du centre, je cite,
sont des personnes malveillantes à leur égard.
Il y a une vraie stigmatisation qu'ils éprouvent au quotidien
qui renforce en fait cette volonté de faire pour son quartier
avec les gens du quartier.
Et est-ce que sur d'autres enfants, sur un autre public, dans un autre quartier,
les résultats auraient pu être différents ?
Je peux pas dire que les résultats seraient différents sur d'autres quartiers.
Par contre, il y a certains facteurs communs,
certains indicateurs qui pourraient permettre la comparaison.
Déjà, l'accès aux ressources numériques au sein du collège,
que ce soit la salle informatique, l'état du parc informatique,
mais aussi l'accès au centre de documentation et d'information.
Et ça, effectivement, ça peut être une piste de comparaison.
Après, je pense que dans tous les cas,
cette expérimentation-là, elle a duré deux ans.
Pendant une année, j'étais avec des cinquièmes,
l'année suivante avec des cinquièmes et des quatrièmes.
Il y a des choses qui se retrouvent,
mais chaque situation est particulière dans tous les cas,
parce que ce qui va vraiment conditionner le projet
et la production de communs dans ces projets, c'est d'être ensemble.
C'est de passer des individus de chaque groupe
à vraiment un sentiment de faire groupe.
Et ensemble, on va transformer le territoire par notre projet.
En fait, ce qui est intéressant avec cette situation-là,
qui est une expérimentation,
où en fait, on va tester avec certaines conditions,
donc là, des classes, dans un collège, une question et des moyens.
On va venir interroger la participation.
On peut le faire dans d'autres temps de la vie,
on peut le faire dans d'autres espaces, même dans d'autres collèges.
Ça ne donnera pas forcément les mêmes résultats,
parce que là, dans ce cas-là, qui était vraiment de recherche à action,
ce qu'on a fait ensemble, c'était issu des volontés de chacun.
Ce n'était pas forcément moi qui venais imposer pour une séance
une conduite particulière avec un exercice
et on cherche à produire tel élément.
Dans ce cas-là, on pourrait reproduire.
Mais là, vraiment, quand on est dans des situations de recherche à action
et qui plus est sur des questions de participation,
c'est difficile à reproduire.
Donc, ce qu'on va en ressortir, ce qu'on va analyser de tout ça,
ça va être des pistes, ça va être des enjeux.
Et tout ça, on va les requestionner à la suite
et on va les confronter à d'autres travaux.
Ma question, en vrai, c'est assez simple.
On a parlé de Minecraft, on a parlé d'écriture d'emails,
de production de projets, etc.
Mais je trouve qu'on n'a pas parlé de l'usage principal d'Internet aujourd'hui,
les réseaux sociaux.
Comment c'était la relation par rapport à ces sujets-là ?
Tu as déjà dit que tu étais vue par le fait que tu étais sur Facebook comme une vieille.
Mais je ne sais pas, les contes de Rennes Métropole,
vous avez discuté de ces sujets-là ou pas ?
C'est hyper intéressant que tu le soulignes,
parce qu'en l'occurrence, on s'est rendu à un moment donné,
il le fallait, sur la plateforme du budget participatif,
qui est la plateforme Fabrique Citoyenne, pour le cas Rennais.
Les premières réactions n'étaient pas très positives de la part des collégiens,
parce que le site, il n'est pas fait comme les autres sites qu'ils ont l'habitude de fréquenter.
Et en l'occurrence, les plateformes de streaming ou les plateformes vidéo, etc.
Là, on est sur un site avec plusieurs onglets dans lesquels ils se sont perdus.
Et pour eux, c'était vieux et c'était moche.
Voilà, tout simplement.
Alors, c'est un petit peu dur à dire comme ça,
parce que d'un côté, certains adolescents ont eu du mal avec cette plateforme
et l'ont jugée moche ou vieille,
mais aussi peut-être parce qu'ils avaient du mal à saisir les enjeux derrière de cette plateforme-là.
Ou du moins, elle ne leur apportait pas les réponses aux questions qui se posaient.
En revanche, les contes Instagram de Rennes Métropole,
quand ils sont allés dessus, ça marchait très bien.
Mais en fait, c'est une question d'habitude et d'usage.
J'ai une anecdote à ce sujet-là.
C'est dans un groupe, on était sur un groupe mixte.
Ils avaient donc 12-13 ans et ils étaient en train d'évoquer des projets à déposer, à construire.
On était vraiment sur la première phase de réflexion.
Et l'un des collégiens suggère une idée et sa camarade lui répond que non.
Non, c'est hors de question.
On ne fera pas ce projet.
Alors, je l'ai oublié du coup.
Et la raison apportée, c'est que ce n'était pas Instagramable.
C'est assez intéressant parce qu'il y avait d'un côté des projets très engagés, vraiment.
Et en même temps, la conscience de devoir valoriser et visibiliser ces projets-là
avec des normes particulières pour que les habitants votent pour cela.
Ils avaient conscience un petit peu du côté visuel d'Internet.
C'est un truc de fou.
Ils en avaient conscience et en même temps, s'ils souhaitaient à un moment donné
associer leur nom au projet, il fallait que ça corresponde à leurs standards.
Il est clair que le numérique n'était que, entre guillemets,
un moyen de poncer les projets portés par les jeunes.
Mais étant donné les contextes sociaux de ces expérimentations,
les quartiers, l'âge, etc.,
il nous reste une curiosité à la fin de notre entretien avec Marianaïs.
Quel type de projet ces jeunes avaient en tête ?
Il y avait énormément de projets.
La majorité portait sur l'environnement et la question de la durabilité
dans les espaces publics.
Une volonté de marquer des espaces pour sensibiliser
aux mégots qui sont jetés et déposés dans la rue.
Mais aussi des projets d'action sociale, d'aide aux mères,
aux jeunes mères en situation de précarité.
Des projets qui visaient à aider les personnes aussi en situation de vulnérabilité.
L'un des groupes avait pour projet d'aménager une épicerie solidaire dans le quartier.
Et donc, quand on leur a dit que ça existait à Rennes-2,
ils ont souhaité prendre contact.
Malheureusement, c'était en mars 2020.
Et ça s'est interrompu à ce moment-là.
Merci à Marie-Anaïs Le Breton de s'être prêté au jeu difficile,
d'expliquer sa recherche en une trentaine de minutes.
AZERTY, c'est fini pour aujourd'hui.
Mais si vous voulez écouter nos anciens épisodes,
on le rappelle, ils sont disponibles sur toutes les plateformes de podcasts
en tapant AZERTY, A-Z-E-R-T-Y.
Et à bientôt pour de nouvelles aventures numériques.
Tu veux pas nous rappeler comment ça marche, Internet ?
Sous-titres générés avec IA (Whisper), editing et proofing par Guglielmo Fernandez Garcia.
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