Contre-histoire d'internet, avec Félix Tréguer

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==/ Sous-titres générés avec IA (Whisper), editing et proofing par Guglielmo Fernandez Garcia /==
29 octobre 1969, Arpanet, le premier réseau à transfert de paquets, voit le jour dans

les bureaux américains de la DARPA, une agence de projet de recherche pour la défense.

Les fondations de l'Arpanet serviront de base pour, vous l'avez deviné, le

réseau le plus utilisé au monde, Internet.

Bon ça c'est l'histoire très très abrégée que Guglielmo et moi nous connaissions

déjà.

Et puis en préparant les émissions, en cherchant des invités, en bouquinant

un peu à côté, on est tombé sur le livre de Félix Treguer,

Contre-histoire d'Internet du XVe siècle à nos jours.

Bah, comment ça du XVe siècle à nos jours ? On parle bien d'Internet là ?

Bon, Félix Treguer, on l'a pas précisé, mais c'est pas n'importe qui.

C'est d'abord un chercheur associé au centre Internet et Société de

CNRS, mais c'est également l'un des membres fondateurs de la

Quadrature du Net, l'une des associations de référence en France

en ce qui concerne la défense des libertés fondamentales dans les

numériques.

Pour cette courte biographie, je pense que vous avez quelques indices

concernant la coloration du livre.

Ces livres, sous la Contre-histoire d'Internet d'ailleurs, s'accompagnent

d'une sorte de suite, sortie cette année en 2024.

Technopolice, la surveillance policière à l'ère de l'intelligence

artificielle.

Voilà, vous avez les bases, plus de surprises donc, dans ce nouvel

épisode d'Azerty, on a le plaisir d'échanger avec Félix Treguer

sur la Contre-histoire d'Internet.

Avec lui, on discute des notions d'espace public, des surveillance,

des contrôles d'État ou encore des certaines utopies déchues.

Ok, je lance Azerty.

Bon, alors entrons tout de suite dans le bain en s'attardant sur le

mot Contre-histoire.

Écrire un livre qui s'intéresse à l'histoire alternative ou en tout cas

celle qu'on raconte moins, celle qu'on connaît moins, ça n'a

évidemment rien d'anodin.

On demande alors à Félix, d'où est venue cette envie, ce besoin

de raconter la Contre-histoire d'Internet ?

La notion de Contre-histoire, elle est mise en exact par Michel

Foucault, le philosophe français, pour montrer à quel point

l'histoire joue un rôle politique et à quel point une histoire peut

se faire contre l'histoire officielle.

Dans le 18e siècle dont parle Foucault, c'était une histoire de la

bourgeoisie qui faisait l'histoire de la conquête du pouvoir

par l'absolutisme royal et donc une histoire qui visait

à rendre visible des choses passées sous silence par l'histoire

officielle. Et s'agissant d'Internet, il m'a semblé qu'il y

avait un peu cette nécessité dans la mesure où, quand j'ai

commencé à travailler sur ces questions dans le cadre de ma

thèse en sciences sociales à l'EHESS, on était autour de 2012,

2013, on était encore marqués par une historiographie

d'Internet très dominée par des historiens des travaux qui

mettaient en exergue la filiation humaniste très, disons,

utopiste d'Internet, notamment la manière dont les pères

fondateurs de l'Internet, ces scientifiques masculins,

étasuniens qui ont travaillé à la mise au point de ce réseau

et de ses premiers protocoles, à quel point, en gros,

ils avaient réussi à travailler certes avec les financements

militaires dans le cadre du complexe militaro-industriel

en cette période de guerre froide dans les années 50,

60, 70, mais en réussissant à se ménager de grandes

marges d'autonomie pour travailler à l'édification de

ce réseau accentré, favorable à la dissémination

de connaissances, à la liberté d'expression, etc.

Et bref, cette histoire un peu enchantée, il me

semblait qu'il y avait nécessité de la contester,

de faire valoir d'autres traditions historiographiques

qui avaient pu exister, mais qui étaient en partie

invisibilisées ou qui se sont garnies ces dernières

années grâce aux travaux d'historiens, justement,

pour notamment, par exemple, mettre en exergue les liens

très forts et les formes de dépendance très

fortes de ces scientifiques, notamment,

je pense à Joseph Lickleader, l'un des pères

fondateurs de l'Arpanet, l'ancêtre d'Internet vis-à-vis

du Pentagone et du giron militaire.

Jusqu'à présent, tout m'est semble clair,

mais ce qui est étrange dans ces livres,

c'est qu'il commence à 1500 avec l'invention

de l'imprimerie de Gutenberg.

Comme Internet n'existait pas, je crois,

je me demande de quoi Félix veut vraiment parler.

L'enjeu de cette contre-histoire qui revient

aux origines des formes de régulation des médias

et notamment à la naissance de l'imprimerie,

c'est de replacer Internet dans une histoire

beaucoup plus longue de la manière dont l'état

moderne a régulé les médias,

les techniques de communication qui se sont

déployées à travers les âges depuis,

disons, la naissance de l'imprimerie

à la fin du XVe siècle.

Donc c'est vraiment concomitant

cette révolution de l'imprimerie,

de la naissance des états modernes

et du déploiement de nombreuses techniques

de pouvoir liées à la maîtrise

du potentiel subversif des moyens de communication.

Et du coup, ce que j'ai essayé de faire

dans cette histoire de temps long d'Internet,

c'est de le replacer dans cette histoire

de ces techniques de pouvoir

nées dans le giron de l'état moderne

et notamment de voir comment les différentes

formes de pouvoir qui se sont remises en selle

à l'ère numérique s'agissant d'Internet

combinent à la fois les formes de surveillance

des communications, les formes de censure

des expressions dans l'espace public médiatique,

les formes de propagande et donc de mise en scène du pouvoir

et enfin le secret par lequel l'état

et les pouvoirs de ce monde s'abritent de la controverse,

s'abritent de la mise en accusation

ou des formes d'énonciation qui peuvent

se faire jour dans l'espace public.

Donc quatre techniques de pouvoir complétées

par une cinquième branche de ce que

j'appelle effectivement la police de l'espace public

médiatique qui est le fait de centraliser

au plan technique l'infrastructure de communication

et remonter au 15e siècle.

Encore une fois, c'est aussi une manière de mettre à distance

la passion de notre époque pour la nouveauté,

l'idée que voilà, on a l'impression

que tous les problèmes qui se posent aujourd'hui

avec Internet sont sans précédent dans l'histoire,

qu'ils sont intimement liés à la puissance

de la technologie informatique.

Or, lorsqu'on prend cette focale de temps long,

on se rend compte en fait que c'est là,

c'est une manière de rejouer en fait des problématiques,

des controverses, des problèmes politiques

qui se sont posés à travers l'histoire.

Et en fait, on n'est jamais en train

de complètement inventer les choses.

Et je trouve que c'est aussi intéressant de montrer

voilà la proximité de certaines réflexions

ou l'aboration doctrinale au 18e siècle

dans le contexte de la révolution française

avec certains débats contemporains, par exemple.

D'accord, voir Internet comme les descendants de Gutenberg

n'est certainement pas l'idée que je me faisais habituellement.

De plus, ce que Félix nous dit,

c'est que toute cette passion pour la nouveauté numérique d'aujourd'hui,

et bien en fait, nous réjouons en partie une histoire

que nous avons déjà vue depuis les lumières

jusqu'à la création de l'imprimerie moderne.

En fait, dans les livres, on apprend par exemple que,

dès les années 1600,

des chansons étaient utilisées pour faire des remix satériques et politiques,

un peu comme TikTok, et que même à l'époque,

certains hommes politiques considéraient

que c'était une chose scandaleuse et inacceptable.

Bon, acceptant sa façon de voir l'histoire d'Internet,

du coup, pour le comprendre,

il faut remonter aux lumières et à la révolution française

pour voir comment s'est-ce construit ces nouveaux droits

comme la liberté d'expression.

Il y a une forme d'inversion,

c'est-à-dire qu'on passe d'un régime absolutiste

où le pouvoir bénéficie d'un secret,

pouvait avoir de grandes largesse dans la censure des écrits,

dans la surveillance des communications, des lettres notamment.

Un régime où en fait,

alors le mot n'est pas forcément employé à l'époque,

un régime démocratique,

ou en tout cas basé sur la souveraineté populaire,

et où du coup, l'enjeu ça va être

de recréer une forme de symétrie entre les prérogatives de l'État

et celle du peuple et de la population.

Et notamment, la révolution française en tant que processus politique,

elle se définit par opposition au ténèbre de l'ordre féodal.

Là où il y avait une forme d'arbitraire

dans la censure des écrits, dans la surveillance des communications,

la révolution française et les régimes qui en découlent

vont protéger la confidentialité des communications.

Cette inversion, elle est très claire aussi dans les vocables.

Et on voit aussi le terme de surveillance repris de cette manière.

Par exemple, il y a des papiers en tête

pendant la révolution française où la devise de la République,

ce n'est pas égalité, liberté, fraternité,

c'est égalité, liberté, surveillance.

Et la surveillance, c'est la surveillance du pouvoir par le peuple.

Sauf que, et c'est ce que j'essaie de montrer,

c'est que derrière ces belles déclarations de principe

qui sont aussi symbolisées par l'adoption de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen,

ce qui se joue aussi dans tout ce contexte-là,

c'est évidemment la continuation des techniques de pouvoir de l'ordre féodal

dans le cadre du régime représentatif, voire républicain,

qui se met en œuvre sous la révolution

et qui ont survécu à travers les différentes crises politiques du XIXe siècle

et à travers les progrès aussi du libéralisme politique

et donc de la protection des droits et notamment du droit à la liberté d'expression.

Mais où, en fait, ces avancées au plan juridique

s'accompagnent aussi de certains reculs du point de vue de l'économie politique des médias,

de la centralisation de cette économie politique,

notamment à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle,

et où, en fait, les progrès de la démocratisation

sont dans leurs effets politiques en partie empêchés, obérés,

par ces logiques économiques, par les logiques d'alliance

entre les financiers qui détiennent en gros les moyens de communication

et le pouvoir étatique.

Et là, les choses sont devenues très théoriques.

Après tout, on discute avec un sociologue.

Mais si je comprends bien, il faut garder en tête

que les expressions médiatiques libres, la presse et autres,

sont des conséquences de batailles révolutionnaires

qui s'inscrivent en opposition avec l'époque féodale.

Après, bon, j'avoue être un peu secoué par ce que je viens d'apprendre,

quand même, le mot « surveillance » utilisé dans la devise nationale

pour symboliser le fait que le peuple surveille le pouvoir,

sur le principe, ça me paraît ok.

Pour autant, ce que nous explique Félix,

c'est que la réalité est tout autre,

puisque ceux qui disposent du pouvoir ont su le garder

malgré les avancées juridiques

et la diversification de l'expression médiatique.

Ce que je comprends, c'est que c'est un peu ça

qui explique pourquoi, en 2024,

on se retrouve avec la majorité des grands médias

et des grands réseaux sociaux qui sont détenus par des milliardaires,

ceux qui ont le pouvoir, quoi.

Milliardaires qui n'hésitent pas, d'ailleurs,

à utiliser leur pouvoir d'influence médiatique

pour servir leurs intérêts et leurs opinions politiques.

Elon Musk, qui utilise X pour favoriser l'élection de Trump,

ou Bolloré qui diffuse son idéologie nauséabonde

dans ses chaînes de télé pour influencer le débat public,

prouve que le pouvoir bourgeois, encore aujourd'hui,

possède et contrôle les espaces d'expression.

Ça, c'était déjà pas mal à assimiler et à comprendre.

Mais dans son livre, Félix ne parle pas que de la sphère médiatique.

Il nous parle aussi de la police.

Dans la contre-histoire d'Internet,

une histoire de la police de l'espace public médiatique

et dans Technopolice, une histoire de la police de l'espace physique,

l'espace public urbain en tant que tel.

Ce qu'il faut avoir aussi en tête dans cette histoire,

c'est que je parlais des progrès de la démocratisation

de l'espace public médiatique,

notamment avec une plus grande protection de la liberté d'expression

au fur et à mesure du XIXe siècle.

Ça se fait au détriment aussi d'une capacité d'expression et de réunion,

donc un droit de manifester ses opinions dans l'espace public physique.

C'est comme s'il y avait eu, au cours du XIXe siècle,

une prise de conscience encore plus forte de la part des élites,

de la puissance subversive des corps, des sujets assemblés dans la rue.

Au XIXe siècle, il y a de nombreuses révoltes,

les journées de 1830, 1848, la commune en 1871.

Donc il y a tout un enjeu pour le pouvoir de lâcher du lest

quelque part sur la circulation des idées

dans l'éther un peu des médias, de l'imprimer éventuellement du théâtre

et plus tard de la radio.

Mais par contre, exprimer ces mêmes idées,

s'organiser politiquement dans l'espace public physique

et notamment dans l'espace de la rue,

c'est perçu comme beaucoup plus subversif pour le pouvoir

et donc c'est un droit et des capacités qui vont être corsetées

et beaucoup plus étroitement régies au fur et à mesure du XIXe siècle.

Même dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse,

qui est une grande loi libérale de la Troisième République

qui vient consacrer le principe d'une protection judiciaire

de la liberté d'expression,

c'est-à-dire qu'on ne peut pas censurer un écrit avant sa publication,

après la publication,

éventuellement un jeu judiciaire qui va décider et juger de savoir

si tel ou tel écrit, telle ou telle expression publique

est contraire à la loi,

parce que c'est diffamatoire,

parce que c'est des injures publiques, etc.

En fait dans cette loi, le fait par exemple de faire des chants dans la rue

ou l'affichage public dans la rue

est beaucoup plus étroitement contrôlé.

Le XIXe siècle est aussi l'époque

là où on commence à penser aux futurs ordinateurs,

par exemple avec la machine analytique de Charles Babbage.

Et c'est ici que notre discussion sur l'histoire de l'espace public

prend une tournure inattendue.

Félix décrit une histoire de l'ordinateur que dès le début

est pensé comme un outil de prise des décisions

à la place d'un État composé de politiciens défaillants,

un outil pour la bureaucratisation de l'État,

et non comme un instrument scientifique.

Et il sait ce qu'il dit,

les livres est rempli de citations assez claires.

Et c'est là que je pense immédiatement à l'intelligence artificielle.

Aujourd'hui encore, certains prétendent

qu'Elias serait capable de prendre des décisions à notre place.

Et ben voyons comment il réagit à ça.

Je pense que l'intelligence artificielle comme processus d'automatisation,

c'est encore un nouveau paradigme

mais une manière de revisiter des processus

qui sont en effet à l'œuvre depuis au moins le XIXe siècle,

en tout cas avec une intensité des instruments techniques

outillant les bureaucraties publiques et privées

qui est beaucoup plus fort à partir du XIXe siècle.

C'est un moment où les États-Nations se consolident.

Les échelles du pouvoir et l'intégration du pouvoir

sur des échelles territoriales très vastes,

encore plus avec les colonisations du XIXe siècle,

nécessitent des outils techniques de plus en plus sophistiqués

pour permettre de transmettre de l'information

et de faire en sorte que ces bureaucraties

ou ces marchés capitalistes qui s'étendent sur de vastes territoires

puissent être intégrés et fonctionner du mieux possible.

Et donc réduire le temps de transmission de l'information,

la capacité à transmettre ces informations,

voire à exécuter certaines fonctions de manière toujours plus automatisée.

C'est des processus qui sont consubstantiels

de la consolidation bureaucratique au XIXe siècle

et du développement du capitalisme.

L'intelligence artificielle aujourd'hui,

c'est l'automatisation de l'automatisation.

C'est-à-dire en fait, via des algorithmes de machine learning,

on arrive à automatiser le fait de construire des programmes qui automatisent.

Mais en fait, la machine à calculer de Babbage dès le milieu du XIXe siècle

traduise la nécessité en effet pour des bureaucraties d'automatiser certaines tâches

et donc de réduire la marge d'interprétation des travailleurs et travailleuses humaines.

Ces réflexions et ce processus-là

par lequel le capitalisme, via tout un tas de médiation technologique,

réduit les marges d'interprétation des agents humains

qui le composent et qui produisent des richesses,

ça c'est un processus central

et je pense que l'intelligence artificielle,

évidemment aujourd'hui, telle qu'elle est déployée,

s'inscrit dans ces rapports de force historiques,

dans un contexte où pour le coup le rapport de force entre capital et travail

est très défavorable aux travailleurs et travailleuses.

Ok, le tableau que nous dresse la Félix est quand même assez noir.

Pour autant, j'ai pas l'impression que la machine

ait toujours été perçue comme un outil au service du capital et de la production.

En bon idéaliste que je suis, j'aurais envie de penser que justement,

la machine devrait nous libérer au moins en partie du travail.

Dans les années 50-60, en plein mouvement des droits civiques,

dans une ambiance de guerre au Vietnam,

aux Etats-Unis, idéalistes et sceptiques de la machine

confrontent leurs discours à gauche.

Félix nous raconte les premières critiques,

mais aussi les premières rêveries permises par l'informatisation.

En fait dans cette histoire un petit peu utopiste,

bienveillante, humaniste de l'informatique et d'Internet,

dont je disais tout à l'heure qu'elle avait un peu dominé

les discours jusqu'à il y a quelques années.

C'est vrai que cette critique de l'informatique très forte

au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale,

et en particulier dans les années 60,

est un peu passée sous silence.

Et il y a un peu du coup cette opposition entre

une partie de la nouvelle gauche de l'époque qui aurait vu

à quel point l'informatique était l'arme au service

des grandes bureaucracies publiques et privées,

à quel point c'est une machine à gouverner,

à quel point elle est utilisée de plus en plus dans une logique

d'un gouvernement rationnel voire rationaliste,

extrêmement froid, déshumanisant,

et à quel point cette machine est aussi appropriée

par les grandes bureaucracies privées et le capitalisme.

Donc ça, c'est tout un pan de la nouvelle gauche

qui va attaquer la recherche en informatique

sur les campus états-unien de la fin des années 60

en pointant leur collaboration avec les programmes de guerre

contre-insuractionnelle du Pentagone.

C'est des groupes qui vont parfois mettre le feu

à des installations informatiques

et qui voient vraiment l'ordinateur

comme une production technologique

qui incarne ce gouvernement bureaucratique,

ce pouvoir bureaucratique froid et déshumanisé.

Et de l'autre côté, effectivement,

il y a une partie de la nouvelle gauche plus artistique

qui va se dire que l'ordinateur peut être en fait

que c'est l'une de ces machines

produites par le capitalisme et l'État

qui restent des adversaires politiques

mais qu'on va pouvoir se réapproprier

à des fins d'émancipation

pour mieux communiquer à l'échelle planétaire.

Et du coup, l'informatique,

comme l'avait été avant elle la radio,

va être l'une de ces technologies

qui va cristalliser des utopies,

des utopies communicationnelles, des utopies politiques.

Et donc, il y a tout un travail comme ça.

Et ça, c'est un peu les deux camps

dressés l'un contre l'autre dans l'historiographie.

Et il me semble, et c'est ce que j'ai aussi essayé de faire

contre l'histoire d'Internet,

c'est d'essayer de nuancer un peu ces oppositions très binaires

et de montrer à quel point

il pouvait y avoir des gens très engagés

dans la nouvelle gauche politique,

dans les manifestations contre la guerre au Vietnam

qui dénonçaient aussi déjà les ravages écologiques,

tous les problèmes qui continuent d'être les nôtres aujourd'hui

et qui en même temps avaient cette veine, disons, expressiviste

d'une idée de se réapproprier des formes technologiques,

des artefacts technologiques au fond d'émancipation.

Tout cela est très intéressant.

Et moi, personnellement, j'y passerai des heures

à parler avec Félix

dès l'histoire de la critique technologique.

Mais pour notre contre-histoire,

quelque chose est sous les points d'arrivée

qui change toutes les cartes.

Avec l'arrivée dans les années 80 de Minitel,

l'un des prédécesseurs d'Internet,

les gens découvrent qu'ils peuvent communiquer

entre eux et elles.

Et ça, c'est cool.

Voilà la jonction entre la liberté d'expression révolutionnaire

et ces fameux espaces publics numériques.

Dans les années 80, en effet,

Internet et d'autres réseaux de communication,

le réseau Minitel que tu mentionnais, le réseau Usenet,

sont en effet appropriés

et font l'objet d'usages qui sont assez loin

de ce que les gens qui avaient conçu ces systèmes envisageaient.

Et donc, il y a des appropriations assez subversives.

Et effectivement, l'État se retrouve complètement désarçonné

tous les outils qui sont développés depuis plusieurs siècles

pour réguler les médias ne marchent plus vraiment sur Internet.

C'est un réseau transfrontière.

On ne sait pas encore identifier vraiment qui parle à qui.

Et tous ces modules sans pérendis

un peu du contrôle de l'espace public médiatique

est un peu défait dans cet environnement numérique

comme l'avaient été un peu les formes de régulation des imprimés

au moment de la naissance de l'imprimerie

avec des appropriations subversives,

évidemment l'essor du protestantisme à l'époque,

des guerres de religions.

Et donc, c'est un moment de déstabilisation très fort

du pouvoir politique et des pouvoirs politiques en place

que la naissance de l'imprimerie.

Et Internet va pas générer évidemment de telles conséquences historiques.

Mais en tout cas, clairement, on peut voir dans les années 80

à quel point cet espace fait peur.

C'est un espace qualifié d'anarchiste hors la loi.

Et donc, il est perçu comme vraiment hostile

aux formes de pouvoir des Etats.

Ce qui va conduire à la définition d'un projet

effectivement visant à reréguler cet espace.

Et très clairement, au détriment des libertés publiques,

y compris les droits acquis de haute lutte au XIXe siècle

comme le principe d'une protection judiciaire de la liberté d'expression.

Dans les années 90, les projets de censure des écrits Internet,

on n'en passe pas par le juge.

Il s'agit de confier ça à des autorités administratives,

à la police en gros.

Et donc, du point de vue strictement juridique,

ça s'acte d'un vrai recul.

Il y a l'idée aussi qu'en fait,

la liberté d'expression, c'était pour les journalistes professionnels,

mais que Internet donne l'accès à cette faculté de s'exprimer

à l'échelle mondiale à n'importe qui.

Et que ça en tant que tel aussi, les formes disons de

dressage ou de discipline

inculquées aux professionnels de l'espace public médiatique

n'ont plus cours lorsque des millions,

des dizaines de millions voire des milliards d'amateurs

peuvent s'exprimer à grande échelle.

Et ça aussi s'est perçu comme extrêmement problématique.

Et on comprend bien que c'est dans ce contexte

que le cyberespace est devenu lui aussi un endroit de lutte politique.

Aujourd'hui, on ne compte plus les affaires

entre hackers activistes et l'Etat.

Le pouvoir politique montre chaque année

qu'il n'hésitera pas à user du potentiel des technologies numériques

pour réprimer ou surveiller.

Personnellement, ça me fait penser à la très célèbre affaire Snowden

dans laquelle on apprenait que la NSA collectait en secret

les données de communication de millions d'internautes.

Au fait, j'ai dit cyberespace,

mais les outils technologiques utilisés par l'Etat

peuvent dépasser les frontières virtuelles, évidemment.

Ça, on en a déjà parlé quand on évoquait les Jeux Olympiques

dans notre épisode avec Myriam Michel,

une autre membre de la quadrature du net.

Mais laissons quand même Félix développer un peu cette idée.

Quand l'Etat est menacé,

et clairement un réseau de communication comme Internet

ou au départ, il n'a pas les outils pour le réguler,

c'est extrêmement menaçant.

L'Etat surréagit,

en fait, s'accorde la capacité à s'émanciper des protections

liées aux droits humains, en fait.

Et c'est des choses qu'on voit effectivement à l'œuvre

dans la manière dont Internet a été régulé.

C'est toujours des processus compliqués,

parce que parfois, il y a des décisions de justice

qui contrecartent tel ou tel projet,

qui dénoncent telle ou telle action illégale.

Je distinguerai un peu ce processus-là,

de ce qu'on a vu, et je pense que c'est ce que tu as en tête aussi,

sur les questions de vidéos surveillance algorithmique,

de police prédictive,

et des formes de surveillance informatique

de l'espace public urbain par la police,

qu'on a analysé dans le cadre de notre campagne Technopolice,

sur lesquelles je reviens dans ce livre Technopolice.

Là, pour le coup, c'est encore aussi très typique de la manière

dont la police s'approprie des technologies de surveillance,

où en fait, quelque part, la fin justifie les moyens,

la technologie permet de le faire,

et la police n'a évidemment pas grand problème

à s'émanciper du droit, alors même que c'est très clair,

par exemple sur les drones, par exemple sur la vidéo

surveillance algorithmique, il n'y a aucun cadre juridique existant,

et donc tous ces déploiements sont illégaux,

ça les empêche pas de le faire,

et ça les empêche d'autant moins de le faire

que les contre-pouvoirs censés lutter

contre ces formes de surveillance illégales,

notamment je pense à la CNIL,

mais c'est le cas aussi du pouvoir judiciaire,

sont totalement défaillants,

et qu'en fait, alors même que le fait de surveiller

une population de manière illégale

et réprimée par le code pénal

est passible de peine d'emprisonnement et de prison,

ces règles, ces dispositions pénales

ne sont jamais appliquées pour poursuivre ou inquiéter

tel ou tel préfet de police, tel ou tel ministre de l'Intérieur.

En effet, Internet a radicalement changé

depuis que j'ai commencé à surfer quand j'étais enfant.

Nous sommes passés d'un monde d'expériences,

de sites tous différents,

de forums où on pouvait s'organiser librement,

à un espace qui est félix appels pendant nos discussions,

cadrier.

Tous nos actions sur le web,

par exemple quand j'ai fait défiler Instagram

avec mon café du matin,

sont désormais scrutés et tracés

à la fois par les GAFAM,

à des fins publicitaires,

et par les Etats.

Du coup, quand je compare mes souvenirs

avec les cyberespaces actuels,

eh ben Internet n'est fait plus rêver comme avant.

La tentation sert alors de se dire qu'il faut se déconnecter

et se concentrer uniquement

sur la partie de l'espace public qui est physique.

Bon, personnellement,

je pense qu'Internet a encore beaucoup à nous apporter.

Mais comme l'histoire de ce deux espaces,

physique et médiatique,

est liée,

je me demande comment les technologies d'information

et l'informatique

s'articulent aujourd'hui d'un espace public.

Ben c'est vraiment l'inquiétude

qu'est au cœur de la démarche poursuivie

avec la campagne d'Technopolice.

On a compris ça,

qu'après nos travaux sur la surveillance massive d'Internet,

on voyait ces mêmes outils Big Data,

ces mêmes outils informatiques

de croisement de données,

d'analyse prédictive,

être transposés dans l'espace public urbain,

dans les pratiques de la police urbaine,

la police du quotidien,

et se dire que les formes de surveillance massive,

systématiques

qui se sont déployées depuis une quinzaine d'années sur Internet,

arrivent dans l'espace physique,

dans l'espace où se meuvent nos corps

et où se déroulent une grande partie de nos activités sociales,

c'était extrêmement inquiétant.

Et Internet, tu le disais, ne fait plus vraiment rêver.

Après, c'est pas pour dire que même sur Internet,

malgré cette économie politique très centralisée,

malgré l'alliance toujours plus poussée

entre Google, Microsoft, TikTok

et d'autres réseaux sociaux ultra dominants

avec différents pouvoirs étatiques,

il y a quand même encore des pratiques de résistance

et des manières de faire autrement.

Mais par contre, ce que permet de souligner, disons,

un constat un peu lucide et forcément un peu aussi défaitiste

sur l'état des libertés sur Internet,

c'est qu'en fait, il aurait été possible de faire autrement

si Internet n'était pas apparu dans un contexte

de néolibéralisme effréné des années 1990.

Si il y avait eu une volonté politique,

elle a été portée par certains acteurs à l'époque

de construire, repenser des services publics,

d'utiliser cette technologie dans le sens du bien commun

et de l'intérêt général,

plutôt que comme un marché très peu régulé,

on aurait pu construire des choses autrement.

Et de fait, il y a encore plein d'alternatives qui existent aujourd'hui,

que ce soit au travers des fournisseurs d'accès associatif

sur le territoire français, ailleurs en Europe et ailleurs dans le monde,

donc des communautés à l'échelle d'un quartier,

à l'échelle d'un village qui s'organisent

pour construire leur propre réseau local Internet

et s'interconnecter au réseau global,

que ce soit à travers les initiatives de Framasoft

et d'autres hébergeurs militants

qui visent à concevoir des outils en logiciel libre

hébergés de manière décentralisée

pour justement se réapproprier nos moyens d'expression et de communication sur Internet.

Toutes ces alternatives-là,

elles peuvent faire l'objet de politiques publiques

qui permettent de les développer et de nous émanciper

d'un Internet effectivement reféodalisé,

dominé par ces grands groupes capitalistes

et des États complices.

Donc il y a plein de briques qui sont déjà présentes,

plein d'expérimentations passionnantes

qui, en plus, sont intégrées à un truc

qui a été une vraie en-pensée du mouvement pour les droits numériques,

l'impact écologique de l'informatique.

Et donc il nous appartient vraiment

d'arriver à réunir ces initiatives

et d'en refaire un projet politique alternatif

pour le futur d'Internet.

En fait, on a laissé, au lieu de faire un Airbnb public,

au lieu de faire plein de plateformes

qui auraient pu à des logiciels libres publics

qui contribueraient aux biens communs,

à la fiscalité publique, etc.

C'est autant d'argent qui part dans les poches

de fonds d'investissement de la Silicon Valley

de cyber-libertariens,

racistes et, voire fascistes, extrêmement dangereux.

Bon, même si, encore une fois,

les constatations de Félix sont plutôt sombres,

j'avoue que j'aime beaucoup ce qu'il dit,

puisque je pense que pour proposer des alternatives,

il faut pouvoir dresser les constats de ce qui a échoué,

de ce qui aurait pu mieux se passer,

de pourquoi les choses se sont déroulées de telle ou telle façon.

Qu'Internet soit né dans ce contexte de néolibéralisme effréné,

comme il le raconte,

que le pouvoir politique ne se soit pas emparé de ses outils pour le bien commun,

ça permet d'expliquer pourquoi Internet a évolué de cette façon.

Alors, est-ce qu'on n'aurait pas besoin de développer de nouveaux imaginaires

pour penser notre rapport à la technologie ?

Comment est-ce qu'on pourrait faire autrement ?

Quelle autre réponse on pourrait avoir

aux problématiques de surveillance et de sécurité

soulevées par le numérique ?

Quand on pose la question à Félix,

avec goût, on ne s'attendait vraiment pas

à ce que sa réponse soit le féminisme.

Ce que j'essaie de rappeler dans le livre

et de montrer un peu pour avoir fréquenté ce milieu technosécuritaire

depuis plus de cinq ans, c'est à quel point il est dominé

par des hommes blancs en position de pouvoir

et à quel point leur manière de penser la ville,

une ville stérilisée, à quel point leur manière de penser la sécurité

uniquement par le prisme étriqué de la police et de la répression.

À quel point, en fait, dans le féminisme,

on trouve beaucoup d'alternatives,

beaucoup d'autres manières de faire sécurité,

beaucoup d'autres manières d'habiter et de faire la ville.

Je pense à la tradition du féminisme anti carcéral,

aux expériences de justice communautaire

qui tâchent de faire sens et de gérer la violence

qui se déploie dans certains quartiers,

autrement que par l'institution policière et pénale.

Je pense à au droit à la ville,

initié par Jane Jacobs dans les années 60 aux États-Unis

et poursuivi par des militantes féministes

et l'urbanisme féministe aujourd'hui qui pensent à la sécurité dans la ville,

le soin des corps et des esprits et la bienveillance

et le soin des uns portés aux autres.

Tout ça, c'est des choses qui, malheureusement,

passent sous les radars dans un débat public dominé sur ces questions

par une approche basée uniquement sur la peur,

sur des approches psychologisantes de la déviance

plutôt que de s'interroger sur pourquoi notre société crée ces violences

et comment on peut rouer et remédier en luttant contre les inégalités,

en luttant pour le bien commun

et plutôt que pour toujours plus de police et de pognon balancé

pour arroser une industrie technosécuritaire

qui construit un monde pété et qu'il nous faut mettre à bas.

Et c'est déjà la fin de cet épisode

dédié à l'exploration de l'espace public médiatique et de son histoire.

Pour aller plus loin sur cette thématique,

on vous invite évidemment à lire

Contre Histoire d'Internet de Félix Treguer,

suivi juste après par le récent Technopolice.

Merci à lui d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.

Si les sujets abordés dans cet épisode vous ont plu,

on vous invite aussi à écouter notre émission

dédiée à la défense des libertés fondamentales dans le numérique

avec Myriam Michel, elle aussi membre de la quadrature du net.

Pour finir, auditrices et auditeurs de Radio Grenouille,

on vous invite à jeter un œil à nos podcasts

disponibles sur toutes les plateformes d'écoute.

On y propose des versions un peu plus longs que celles diffusées en radio.

Et si vous nous écoutez déjà en podcast,

vous pouvez nous laisser des commentaires et des étoiles,

ça nous fait toujours plaisir.

Encore une fois, on espère que ça vous a plu. On vous dit à bientôt en podcast et sur les ondes.
==/ Sous-titres générés avec IA (Whisper), editing et proofing par Guglielmo Fernandez Garcia /==

Créateurs et invités

Alexandre Allain
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Alexandre Allain
Développeur Front-End, j'explore la société numérique en podcast et à la radio depuis 2017.
 Guglielmo Fernandez Garcia
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Guglielmo Fernandez Garcia
Je bricole des IA, mais j'aime aussi la vulga et les sciences sociales
Contre-histoire d'internet, avec Félix Tréguer
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