Curseurs : penser collectivement la tech avec l’encre et le papier
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Guglielmo: Comment parle-t-on de numérique ?
Guglielmo: Quels sont les liens entre numérique, éducation populaire et les médias ?
Guglielmo: C'est avec ces questions qu'on va démarrer cette quatrième saison d'Azerty.
Alexandre: Au vu de l'importance qu'elles ont su prendre dans nos vies quotidiennes, plus que jamais, il nous faut pouvoir questionner les technologies, leurs promesses et les imaginaires qu'elles développent.
Guglielmo: Cet besoin de critiquer les numériques n'est pas nouveau.
Guglielmo: Dès les premières transformations visibles de la société dans les années 70, avec l'émergence de ces nouvelles technologies, sont apparus les premiers discours critiques.
Alexandre: Dans les années 80, le terme technocritique voit le jour pour désigner non pas une opposition aveugle au progrès technique, mais une réflexion sur l'adoption massive et frénétique de ces outils.
Guglielmo: Et justement, la saison dernière s'est achevée sur cette thématique, sur l'état de la technocritique en France avec Irénée Régnauld.
Guglielmo: Et on a pu voir que tous n'étaient pas d'accord entre eux et elle.
Alexandre: Alors, si on a déjà évoqué la pluralité des discours technocritiques, aujourd'hui, on va s'intéresser à la manière de véhiculer ces discours.
Alexandre: Et pour discuter du sujet, on a un peu voyagé et on a rencontré Johan et Celo, deux membres de l'association TACTIC, à l'origine de Curseur, un journal papier.
Alexandre: Oui, oui, papier.
Alexandre: Qui se veut technocritique.
Jingle: OK, je lance AZERTY.
Alexandre: En arrivant à la Maison de la Paix, à Bruxelles, là où sont situés les locaux de l'association, le calme plane.
Alexandre: Il faut dire qu'on n'arrive pas au meilleur des moments puisque l'équipe était sur la relecture avant impression du cinquième numéro.
Alexandre: Deux personnes se rendent disponibles pour répondre à nos questions, Celo et Johan, et on s'installe dans un petit sous-sol où sont stockés plusieurs exemplaires des numéros précédents et où trônent des ordinateurs à cœur ouvert.
Alexandre: Très vite, nos invités expliquent ce qu'est l'association TACTIC, qui, en Belgique, est reconnue comme une association d'éducation permanente.
Alexandre: En France, on dirait éducation populaire.
Alexandre: D'accord, faire de l'éduc-pop autour du numérique, c'est une très bonne chose, et il y a beaucoup d'assos qui le font, mais il y a mille façons de le faire.
Alexandre: Ici, ce qui est intéressant, c'est ce qui a été choisi comme méthode pour raconter, avec pédagogie, un ou des points de vue critiques sur le numérique.
Alexandre: Alors commençons par le commencement, on demande à nos invités comment est née l'idée de faire un média autour de ces sujets, et en particulier un journal papier.
Celo: TACTIC accompagne principalement des assos ou des collectifs mais on a aussi quelques écoles vers des solutions logiciels libres donc pour celles et ceux qui nous écouteraient et qui connaissent des logiciels comme du Nextcloud, utiliser Thunderbird pour s'aimer, ce genre de choses.
Celo: On travaille beaucoup d'ailleurs avec Domaine Public qui est un hébergeur associatif belge qui date d'il y a très longtemps et qui est maintenant membre du collectif des chatons.
Celo: donc des collectifs d'hébergeurs alternatifs, transparents, ouverts, neutres et solidaires, et dont plusieurs personnes, en fait, dans Tactik, ont été déjà actives, en fait, dans cette entité-là, qui est Domaine Public.
Celo: Depuis très longtemps, en fait, le collectif qu'il y a derrière TACTIC et Domaine Public est un collectif qui était très militant, mais qui progressivement, parce que, ben, notamment le monde associatif a de plus en plus besoin d'outils numériques, s'est beaucoup redirigé vers de la prestation, finalement, de services, même si c'était des services en logiciel libre,
Celo: Et du coup, notamment au moment du Covid, il y a eu l'envie aussi de renouer avec une activité un peu plus militante, un peu plus critique sur qu'est-ce que ces technologies faisaient à la société.
Celo: Et c'est là qu'est venue l'envie d'entrer, de potentiellement avoir un subside qu'on n'a pas encore en éducation permanente pour faire ce type de travail-là, au travers d'ateliers et au travers d'un journal.
Guglielmo: Ok, ça nous plaît.
Guglielmo: Tout ça vient d'un thème militant, mais ils ne sont certainement pas les seuls à écrire sur la technocritique.
Guglielmo: Ce qui nous a intrigués et poussés à aller jusqu'à Bruxelles, c'est les formats à papier.
Guglielmo: Pourquoi les formats physiques ?
Celo: Oui, il existe finalement pas mal d'auteurs de blogs, de ressources en ligne qui vont parler de ces sujets-là, mais c'est pas forcément facile pour des personnes qui ne connaissent pas du tout ces sujets-là de les connaître et de rentrer là-dedans.
Johan: Oui, aussi, le journal, ça peut être posé sur une tale, on peut y revenir des mois après.
Johan: Très souvent, on est, disons, dans une bulle numérique, une bulle d'intérêt, etc.
Johan: Et donc, il n'est pas toujours évident de raccorder aussi des fois avec les gens qui nous entourent, que ce soit la famille, des amis, on peut parfois être tout à fait plongé dans
Johan: dans un champ très spécifique dans l'espace numérique.
Johan: J'ai l'impression que le journal permet aussi des fois un rebond, de juste pouvoir partager comme ça, et disons, re-socialiser des fois un petit peu l'information, du moins la ré-ancrer aussi dans des lieux, dans les cercles d'amis, de le faire exister.
Johan: Ça traîne, on y regarde, on regarde l'ensemble.
Johan: J'ai l'impression que c'est aussi ça l'intérêt du papier, c'est qu'il y a une...
Johan: Ça ne s'évapore pas tout de suite dans un fil d'actualité, etc.
Johan: Ça traîne, ça peut se perdre, mais ça peut se passer aussi de main en main, donc ça a plein de qualités.
Alexandre: Avec l'explication de Celo sur la composition de tactique et les débuts du journal, on pourrait imaginer que Cursers est rédigé par le même groupe de personnes qui gravitent autour de ces sujets.
Alexandre: Mais en réalité, on ne peut pas dire que le journal ait sa petite armée de journalistes toutes prêtes.
Alexandre: Non, la composition autour du journal est singulière.
Celo: On n'a pas encore vraiment parlé non plus de la manière dont aussi le collectif s'était construit autour du journal et de qui c'était puisque ça dépasse beaucoup finalement les gens qui, comme moi, sont salariés ou salariées de tactique puisque il y a beaucoup de personnes aussi qui complètement bénévolement s'engagent pour écrire des articles, faire des relectures, travailler sur la diffusion du journal.
Celo: Et en fait, il y a eu l'idée aussi de dire, ces moments où on conçoit le journal, où on fait des ateliers, des réunions pour un peu discuter, tiens, on va faire quoi comme sujet, on a quoi comme contribution, c'est aussi des moments où on discute beaucoup entre nous et on débat beaucoup entre nous sur ce qu'on publie, et qui je pense est en fait une fonction aussi un peu interne du journal, c'est de servir aussi un peu de groupes de discussion autour de ces thématiques-là.
Celo: qu'on essaye, je pense, quand même un peu de restituer finalement dans les textes du journal.
Celo: Après, je ne sais pas si quelqu'un de complètement extérieur le perçoit, mais moi, ça m'arrive quand même de voir qu'il y a parfois des choses où on se répond entre les textes.
Alexandre: L'idée d'avoir un journal participatif ouvert à contribution, ça doit guider totalement le projet.
Alexandre: On trouve ça intéressant, alors on demande à nos invités de détailler ce fonctionnement.
Alexandre: Est-ce qu'on est dans de la co-écriture ou dans de l'ouverture totale ?
Celo: Du fait aussi que le journal est une production qui est vraiment devenue collective, avec tout un tas de gens qui écrivent, qui contribuent à relire, qui contribuent à aussi un peu décider de ce qu'on va mettre dedans, de quels sujets on va traiter.
Celo: Il y a un aspect un peu, je vais pas dire expérimental, mais disons dans chaque numéro, c'est pas toujours évident de prévoir de voilà, on va faire tel article qui se destine à tel public, on va faire tel article qui se destine à tel autre public.
Celo: C'est aussi des choses qui viennent un peu spontanément.
Celo: Là où on fait un effort aussi pour rendre le journal accessible, mais aussi rendre la réflexion accessible et l'écriture accessible, c'est qu'on lance des appels à contribution où toute personne peut proposer des textes et on essaye vraiment de travailler avec les auteurs et les autrices qui, par exemple, nous envoient des textes.
Celo: On le fait entre nous aussi, de relire nos propres textes et de se faire des commentaires, des remarques entre nous.
Celo: mais on essaye aussi de le faire avec les personnes qui potentiellement nous soumettent des textes et qui ne sont pas toujours non plus vraiment rodées à l'écriture.
Celo: Donc c'est parfois aussi du travail de revenir vers l'auteur, l'autrice, dire voilà, là il y a un problème de structure dans ton texte, peut-être on pourrait le prendre comme ci, comme ça, faire des propositions ou demander à personne de revoir certaines parties.
Celo: Et on essaye vraiment de faire ce travail-là pour finalement permettre à toute personne de s'exprimer.
Celo: Il y a des différences qui émanent des textes qu'on reçoit et de comment se construit collectivement le journal, puisque les idées, ce n'était pas forcément pour chaque numéro imposé, on a envie d'une contribution là-dessus, là-dessus, là-dessus, et que finalement le journal se fasse parce que deux, trois personnes décident que ça va être tel contenu.
Celo: En fait, c'est plus un truc qui part d'en bas et qui se construit collectivement, mais avec certains aléas.
Guglielmo: Et là, Curseur devient encore plus unique.
Guglielmo: Ce n'est pas seulement un journal imprimé, mais aussi un journal d'éducation populaire.
Guglielmo: En d'autres termes, les membres des tactiques ne sont pas seulement des journalistes, mais aussi des éducateurs et éducatrices qui accompagnent les gens dans les différentes étapes de la rédaction journalistique.
Guglielmo: Mais il ne s'agit pas seulement des fers de journalisme « amateurs ».
Guglielmo: Avec Rafael, du LICA, la dernière saison, nous avons parlé des mystères de la technique, lorsqu'elle est calée de haut et de la manière dont cela limite notre pouvoir face au numérique.
Guglielmo: Si la tech est magique et donc inaccessible pour nous, nous ne pouvons que l'utiliser sans la comprendre.
Guglielmo: Curseurs et les journalismes en tant qu'éducation populaire, pour moi, proposent un moyen de dévoyer ces mystères, d'essayer d'émanciper et de s'y réconcilier avec le numérique.
Guglielmo: Comme on dit dans le milieu de l'éducation populaire, émancipation est faire culture avec les gens et pas pour les gens.
Guglielmo: À revanche, il existe une véritable expertise dans le domaine du journalisme, qu'il s'acquierrit au fil des années, d'expériences pro, des études, etc.
Guglielmo: Du coup, on ne s'improvise pas journaliste, au moins on ne devrait pas.
Guglielmo: Bon, du coup, les faits de faire de journalisme populaire a-t-il un impact sur les produits finales, sur les journaux qui parviennent entre les mains ?
Celo: De mon point de vue, le pari de laisser des personnes avec d'autres backgrounds techniques s'exprimer, c'est vrai qu'on n'a pas toujours des experts sur tel ou tel sujet, mais d'un autre côté, il y a parfois des textes qui, du fait qu'ils sont moins professionnels ou qu'ils sont plus dans un côté un peu militant, ça peut aussi plaire à certains publics et amener certaines choses dans la discussion.
Celo: Disons qu'on essaie d'avoir quand même un travail rigoureux sur les textes.
Johan: Après aussi, pour revenir sur le projet du journal qui s'inscrit dans ce qu'il appelait en Belgique l'éducation permanente, ce qui s'appelle en France l'éducation populaire, c'était aussi de laisser la possibilité à des gens de s'exprimer sur un sujet qui est hautement technique, dans lequel il y a beaucoup de technique au milieu, le numérique, dans lequel il y a énormément d'enjeux à différentes échelles, et donc de voir le journal comme un espace d'apprentissage.
Johan: et donc pas spécialement de mobiliser des gens dont ils sont experts, parce qu'issus d'un cursus inertitaire.
Johan: Donc on essaie évidemment de faire en sorte de dire le moins de bêtises possible en accompagnant au mieux les textes, en revérifiant les informations.
Johan: Mais voilà, c'est aussi, disons, le risque qu'on prend, d'une certaine manière, oui, d'accueillir des textes pour le moment.
Johan: On a, je crois, de mémoire, pas tellement refusé de textes, même si des fois aussi on reçoit des textes dans lesquels il y a du chemin, tant dans l'articulation, tant que aussi, disons, dans la finesse de l'analyse.
Johan: Ce n'est pas encore tout à fait ça, mais c'est un travail qui n'est pas évident à faire entrer dans le travail général de faire un journal, mais c'est aussi, disons, une des envies qu'il y avait en tant que curseur, même si c'est assez lourd par moments aussi, d'accueillir ces textes, de les amener, de ne pas dire non.
Johan: Jusqu'alors, je ne sais pas comment ça se passera le jour où on aura à dire non aussi à un article où ça ne va pas.
Johan: Mais voilà, ça demande aussi de la diplomatie envers les auteurs, les autrices, que d'accompagner en fait pour finalement que les gens
Johan: sortent de là en s'étant aussi un peu... en ayant appris aussi des choses.
Johan: Donc c'est ça aussi, voilà, l'objet du journal ça reste aussi ça.
Johan: C'est pas spécialement un savoir expert, c'est aussi on apprend en cherchant, on apprend en écrivant, et on apprend aussi collectivement, voilà, comme le disait Cello, en croisant les regards sur des textes pour, voilà, est-ce qu'on comprend, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est juste, ça voilà.
Guglielmo: Il existe de nombreux modèles pour la rédaction d'un journal, mais certains éléments se retrouvent dans tous les journaux mainstream.
Guglielmo: Comme dans tous les médias, il existe souvent une ligne éditorielle, c'est-à-dire un ensemble de règles internes, éthiques, morales et du public qui est ciblé, qui définissent ce qui est intéressant ou non.
Guglielmo: pour un journal.
Guglielmo: Un journal est souvent divisé à un pôle thématique, c'est-à-dire un groupe de journalistes qui traitent des sujets spécifiques, politique, culture, science, etc.
Guglielmo: Après, il y a des rédacteurs et rédactrices à chef qui sont chargés d'animer, ou plutôt de diriger, la rédaction, et ont souvent un grand pouvoir décisionnel.
Guglielmo: Ce sont souvent eux et elles qui animent les réunions des rédactions.
Guglielmo: Disons que de nombreux journaux ont tout de même un mode de prise de décision un peu vertical.
Guglielmo: Du coup, je me demande comment on adapte la structure un peu hiérarchique d'une rédaction lorsqu'il la démarche est celle de l'éducation populaire.
Johan: Ça s'organise de manière assez informelle.
Johan: L'émergence par exemple d'un sujet va venir juste d'une récurrence où on sent au moment d'une discussion, d'une réunion, on se réunit ici à la Maison de la Paix de temps en temps.
Johan: Donc par exemple l'émergence d'une thématique ça vient juste de, ah tiens, il y a une ou deux personnes qui ont proposé un article et finalement on voit que ça en amène d'autres et donc ça se fait comme ça de manière assez organique.
Johan: Là par exemple, commence à se définir un petit peu le numéro d'après.
Johan: Il y a quelques pistes, il y a plus ou moins deux pistes.
Johan: Mais rien n'est acté encore et ça se fait de manière assez vraiment collégiale et très horizontale même.
Johan: Parce que même il n'y a pas tellement de statut au sein de la rédaction.
Johan: Par exemple, il n'y a pas de rédacteur ou de rédactrice en chef, il n'y a pas d'éditorialiste.
Johan: Chacun, chacune fait ce qu'il peut, disons, avec le temps qu'il a. Et donc voilà, ça s'organise vraiment de manière très, très souple aussi.
Johan: On a une petite équipe.
Johan: une coordination qui se fait à 4 ou 5 personnes.
Johan: A la coordination, on s'ajoute des gens qui participent régulièrement ou irrégulièrement.
Celo: J'ajouterais qu'on fait régulièrement des ateliers, réunions, où viennent toutes les personnes qui ont envie de participer.
Celo: Comme dit Johan, il n'y a pas vraiment de rôle forcément prédéfini et c'est un peu parfois aussi en fonction de ce que chacun a le temps d'y mettre.
Celo: Mais on a pris l'habitude maintenant, depuis deux numéros, de vraiment, pendant tout le temps du processus un peu éditorial de la fabrication d'un curseur, de, à des moments, se réunir pour faire le point sur les textes qui sont là, faire des relectures, potentiellement se poser des questions sur la réécriture d'un passage.
Celo: faire ensemble ce qu'on appelle le chemin de fer, donc en fait se dire tiens bah voilà maintenant on a tant de textes qui font tant de signes, comment est-ce qu'on les agence finalement dans le numéro ?
Celo: Quel va être l'ordre du sommaire ?
Celo: Toute une série de tâches finalement qu'on fait collectivement, là on est même en train de se dire parce que le numéro actuel, on est arrivé à un stade où on avait fait une réunion pour faire de la relecture en page, mais on avait gardé cette journée de relecture et on s'est retrouvés du coup à faire des relectures aussi sur des textes qui n'étaient pas encore en page et qui donc pouvaient un peu plus bouger.
Celo: Et on s'est rendu compte qu'en fait, le fait que plus de personnes relisent ces textes-là et signalent parfois des petites choses, parce qu'on n'a pas toujours tous et toutes la même culture, même pour des références culturelles ou ce genre de choses, ça permet aussi de retravailler les textes pour...
Celo: expliciter certaines choses et reclarifier certaines choses et on se dit peut-être dans le prochain numéro on se ferait bien finalement plutôt dans le processus aussi des journées où on se dit bah c'est pas juste passer en revue qu'est-ce qu'on a comme texte et qu'est-ce qui doit encore arriver mais c'est aussi relire ensemble les textes et en discuter et se dire ah ben tiens tel paragraphe en fait j'ai pas du tout compris ce que la personne a voulu dire et donc voilà on expérimente aussi on est au quatrième numéro là on est en train de faire le cinquième donc on est dans une démarche de trouver nos modes de fonctionnement et de trouver ce qui nous convient
Celo: collectivement, et ça c'est assez chouette.
Alexandre: Au fil de la discussion avec nos invités, les valeurs qui animent le journal sont de plus en plus claires.
Alexandre: Leur volonté est de traiter des sujets numériques pour ouvrir un débat citoyen.
Alexandre: Et cette approche, elle s'inscrit dans une démarche d'éducation populaire, jusqu'à la manière dont le journal est conçu, avec un principe central, le collectif.
Jingle: Azerty.
Alexandre: Échanger avec l'équipe de Curseurs, c'est aussi pour nous l'occasion de discuter de problématiques communes à AZERTY.
Alexandre: C'est bête, mais nous, on se demande souvent comment aller au-delà de nos cercles technocurieux.
Alexandre: C'est une question qu'on avait d'ailleurs posée à un sociologue technocritique, Iréné Regnaud, en saison dernière.
Alexandre: Le numérique aujourd'hui prend tellement de place dans tellement de sujets de société qu'il nous semble pertinent d'aller chercher au-delà des sphères déjà intéressées.
Alexandre: Alors comment s'y prend Curseurs ?
Johan: pour atteindre des publics qui ne seraient pas familiers de ces enjeux ou qui ne seraient pas tellement curieux des technologies pour qui le numérique n'est pas une question finalement.
Johan: Donc ça c'est vrai que ce n'est pas évident, c'est quelque chose qu'on essaie de faire au cœur du journal en essayant de faire une place.
Johan: Il y a un glossaire qui est au centre de chacun des numéros qui permet aussi de venir éclaircir par exemple des termes spécifiques au domaine.
Johan: dans lequel on essaie à chaque fois, dans notre adresse, même si c'est pas évident de savoir à qui on s'adresse, d'être le plus clair possible, le moins jargonneux possible, et quand il faut faire appel à des mots spécifiques, on vient les éclaircir, on vient les définir à travers le glossaire.
Johan: Il y a aussi la question du journal papier et donc aussi de l'écriture, c'est-à-dire aussi s'adresser à un public
Johan: qui a une pratique de la lecture, ou du moins pour qui faire face à une double page d'un journal ouvert, d'y aller.
Johan: Donc ça c'est encore une autre contrainte, disons, d'accès à un public.
Johan: Après aussi, le journal, j'ai l'impression qu'il faut aussi le penser comme aussi inscrit dans un territoire.
Johan: Il est produit à Bruxelles.
Johan: Les échanges se font aussi à travers des lieux, à travers des rencontres, et que tout ne se passe pas non plus par
Johan: Il y a des corps au milieu qui viennent se rencontrer, donc il y a aussi des personnes par exemple qui s'intéressent plus au domaine de l'éducation qui vont venir vers le journal parce que justement il y a un sujet sur l'éducation ou des gens qui ont une sensibilité écologique qui vont venir vers notre dernier numéro sur la matérialité du numérique.
Johan: Donc ça permet aussi des fois quand même de faire des ponts.
Johan: C'est que le numérique en fait il traverse quasiment
Johan: l'intégralité des secteurs de la production, une grande part de nos existences.
Johan: Donc finalement ce n'est pas tellement interroger le numérique en lui-même, mais sa présence dans tel et tel domaine.
Guglielmo: Si c'est votre première visite sur les ondes d'Azerty, voici l'un des secrets qui motive toute notre rédaction.
Guglielmo: Non seulement notre passion pour les numériques, mais surtout sa transversalité dans les mondes d'aujourd'hui.
Guglielmo: C'est pourquoi nous essayons d'aborder des thèmes tels que le féminisme ou la plus grande industrie culturelle, à savoir les jeux vidéo.
Guglielmo: Cependant, avec Alex, nous nous sentons parfois pris au piège.
Guglielmo: Parce que critiquer les numériques et notre rapport à celui-ci peut nous faire glisser vers une position quelque peu moralisatrice.
Guglielmo: Faisons un exemple.
Guglielmo: Nous possédons tous et toutes des objets, tels que des smartphones, un iPhone, que nous avons quelque sorte choisis sur un marché.
Guglielmo: Il est donc difficile de critiquer l'iPhone sans donner l'impression que les choix de l'acheter étaient une erreur.
Guglielmo: Alors comment développer un discours technocritique sans finir même involontairement par être un peu de moralisateur ?
Johan: Des fois les enjeux qu'il peut y avoir autour du numérique sont tellement peu, peut-être mis en discussion de manière générale, peut-être qu'on réfléchit trop peu à ça et donc très vite, dès qu'on s'y intéresse, il y a vraiment aussi un décalage dans lequel, d'une certaine manière, on a l'impression, disons sur l'angle technocritique, de saisir les enjeux aussi qu'il peut y avoir dans l'usage des outils, etc.
Johan: dans le choix des outils, dans leur usage.
Johan: Et finalement, de se retrouver avec quelqu'un qui n'a pas fait le parcours, qui n'a pas eu déjà ses réflexions, il peut y avoir une distance.
Johan: Il faut, disons, trouver aussi un angle qui permette de savoir où en est la personne et de voir aussi que le changement ne se fait pas du jour au lendemain.
Johan: et de voir aussi qu'on est pris dans là où on est, là où on est socialement, comment on a évolué, comment sont nées nos pratiques, nos disponibilités aussi aux changements, les marges de manœuvre qu'on a dans notre vie pour faire naître ces changements.
Johan: Je pense que c'est quelque chose auquel il faut vraiment être à l'écoute.
Johan: Après, c'est vrai que c'est pas évident au niveau de l'écriture de savoir comment on se situe vis-à-vis de ça, parce que j'ai l'impression aussi au niveau... on essaie de faire appel, disons, à certains outils aussi des sciences sociales ou du moins de situer historiquement les choses et de voir qu'à chaque fois, la venue de pratique s'inscrit dans des mouvements bien plus larges que juste les personnes décident elles-mêmes de faire ça.
Johan: Donc j'ai l'impression qu'on vient déculpabiliser les pratiques, c'est pas de les rendre totalement innocentes non plus, mais c'est de voir qu'elles s'inscrivent dans des mouvements plus larges que simplement des individus qui décident librement de faire ci ou ça.
Alexandre: Si on s'est posé la question de la posture moralisatrice qu'on peut prendre dès qu'on cherche à toucher les personnes peu intéressées par le sujet numérique en lui-même, c'est parce que de fait, il y a de fortes chances que le lecteur de curseurs participe à cette société numérisée.
Alexandre: Et donc forcément, l'idée de lire des critiques par rapport à son expérience du monde,
Alexandre: peut parfois rendre inaudible un discours nécessaire.
Alexandre: Enfin, ça c'est un peu ce qu'on pense, et c'est pour ça qu'on trouvait la question intéressante.
Alexandre: Parce que sur AZERTY, on se la pose régulièrement.
Alexandre: Mais force est d'admettre que la réponse n'est pas toujours si simple.
Alexandre: Bref, avec nos invités, on en a longtemps parlé pendant l'entretien, si bien qu'à un moment, Celo a pu dire quelque chose qui a retenu mon attention.
Celo: Je ne suis pas toujours d'accord avec toutes les idées qui sont défendues dedans.
Celo: Je pense que d'autres personnes dans le collectif ne sont pas toujours d'accord avec tout ce qu'on met dans les textes.
Celo: Mais l'idée c'était finalement aussi que cette publication a des éléments de débat.
Alexandre: Le fait qu'il n'y ait pas de consensus sur les articles est aussi pour le journal une manière de diversifier les points de vue critiques, et donc de mesurer, nuancer, et ça c'est encore une manière de proposer un débat citoyen, et donc peut-être de se prémunir d'une certaine posture moralisatrice.
Guglielmo: Nous étions arrivés à la fin de notre discussion avec Courser et nous apprêtions à poser nos dernières questions.
Guglielmo: Et c'est là que Johan et Celo ont pris le contrôle de la discussion, car il y avait quelque chose que nous n'avons pas demandé et qui était vraiment important et devait être ajouté.
Guglielmo: Nous apprécions toujours lorsqu'un de nos invités nous propose des sujets encore plus intéressants que nos questions, alors voyons quelle est la place de graphisme chez Courser.
Celo: En plus d'être un journal bien rempli au niveau texte, c'est aussi quand même un journal qui est beau, avec des illustrations, avec une belle mise en page, qui en plus a quelques traits d'originalité, notamment puisque ça s'appelle curseur avec des petits triangles pour tenir le journal sur les côtés sans cacher le texte.
Celo: Et en fait, quand TACTIC a voulu lancer le journal, comme je l'ai dit, c'est dans l'idée potentiellement qu'à un moment donné ce soit subsidié, mais on n'est pas subsidié, on n'avait pas des masses d'argent pour tout ce qui était graphisme, illustration, et en fait on a fait le choix de travailler avec des étudiantes et des étudiants.
Celo: Donc en fait tout l'aspect graphisme et typographie a été travaillé par des étudiantes et des étudiants de la Cambre, qui est une école d'art ici à Bruxelles.
Celo: Et c'est toujours une étudiante de la Cambre qui s'occupe maintenant traditionnellement de la mise en page, même si elle n'est plus étudiante à la Cambre.
Celo: C'est ces étudiants et étudiantes-là aussi qui nous ont proposé ces éléments typographiques inclusifs avec les glyphes.
Celo: Pour les illustrations, on travaille avec des étudiants et des étudiantes d'une autre école à Bruxelles, qui s'appelle l'école de recherche graphique, avec l'idée qu'en fait, chaque numéro, ce soit un étudiant ou une étudiante différente qui fasse les illustrations du numéro.
Celo: Ce qui donne en fait aussi un aspect de, le journal finalement il a une identité graphique un peu commune, mais chaque numéro est différent aussi parce que le style d'illustration varie.
Celo: Et là on s'est aussi inspiré d'une autre pour le coup publication belge, dans les médias indépendants belges, qui est Médor, qui en fait fait un peu ce travail là, bon sauf que eux c'est vraiment, enfin c'est un journal plus pro.
Alexandre: Et ces illustrations, couplées au débat qu'on peut lire dans les colonnes de curseurs, participent aussi au développement d'imaginaires.
Alexandre: On en a toujours un peu parlé dans AZERTY, mais plus que jamais, ça nous semble nécessaire de mettre en lumière des chemins différents de celui que nous empruntons.
Alexandre: Puisqu'on arrive à la fin de l'interview, on leur fait part de nos positions et on demande à nos hôtes leur avis sur tout ça.
Johan: J'ai l'impression que c'est quelque chose qui commence à émerger un peu de notre côté, où finalement, d'un numéro à l'autre, j'ai l'impression qu'on fait aussi un petit peu un chemin sur baliser le paysage de ce qu'est le numérique, ce qu'il est devenu, ce qu'il va devenir.
Johan: Et finalement, après avoir bouclé ce numéro 4 sur la matérialité du numérique, de voir aussi
Johan: la dimension assez insoutenable finalement du développement de l'industrie du numérique.
Johan: Il y a plein plein de choses à imaginer sur l'après, sur des possibles aussi une dénumérisation finalement peut-être aussi de la société, de l'économie, de nos échanges, donc ça évidemment c'est des choses aussi dont on essaie de s'emparer, c'était quelque chose aussi de les présenter comme désirables, parce que se défaire de choses qui nous paraissent aussi très confortables, très utiles,
Johan: qui sont des vecteurs de puissance.
Johan: Ce n'est pas évident de se défaire de tout ça.
Johan: C'est un chantier qui commence à se définir sur les horizons d'un après numérique, d'un autre numérique.
Johan: C'est quelque chose à repenser dans son ensemble.
Guglielmo: Voici un autre point, et peut-être dernier, point commun un peu amusant, un peu marrant, entre nous à curseurs.
Guglielmo: Pour Azerty, le besoin de parler davantage d'imaginaire s'est fait sentir en cours de route.
Guglielmo: C'est-à-dire en discutant avec nos invités, en étudiant les sujets abordés, etc.
Guglielmo: Je ne sais pas si c'est vrai en général, mais pour les numériques, c'est comme si les désirs d'un numérique différent, de ne pas tout mettre à la poubelle, n'essaient et se nourrissaient précisément de la volonté de les critiquer.
Guglielmo: Incessant, nous pourrons nous demander si Courser n'est pas déjà le journal de demain.
Guglielmo: Technocritique mais pas technophobe, au moins hiérarchique, indépendant, pensée réalisée par les bas.
Guglielmo: C'est un petit projet, il a plein de difficultés, mais sur les papiers, ça fait rêver.
Guglielmo: Nous avons donc voulu clore cette discussion en demandant à Johan et Celo si Courser n'était pas déjà, à leurs yeux, une sorte d'utopie réelle, un imaginaire pour les médias, que nous devrions avoir, si non réussi, d'où moins souhaitable.
Johan: Oui, évidemment qu'on peut imaginer de produire, de faire du contenu, de faire de l'information, des médias au-delà, enfin avec d'autres outils disons, en imaginant d'autres outils et aussi même imaginer la production de l'information de manière plus collective, d'effet aussi peut-être de plus citoyenne et de voir aussi
Johan: la fabrique de l'information aussi comme un espace de formation, d'apprentissage, et aussi d'émancipation finalement, de pouvoir se saisir de tous ces enjeux qui sont cruciaux, enfin la question numérique, de venir s'en saisir, de venir les comprendre, de voir finalement qu'en s'y attaquant pour un petit bout on finit par comprendre, qu'à la fois c'est très compliqué mais on peut quand même essayer de comprendre,
Johan: de voir que c'est pas une montagne, il y a plein de portes d'entrée pour s'intéresser au numérique et j'ai l'impression que le journal est une porte parmi d'autres.
Alexandre: Merci à Celo et Johan de l'association Tactique pour nous avoir accordé leur précieux temps en pleine journée de relecture.
Alexandre: On vous invite chaudement à vous y intéresser, d'abord sur le site web de curseur.be pour accéder à quelques articles gratuits et à vous abonner si tout cela vous plaît.
Alexandre: En plus, un nouveau numéro vient de sortir.
Guglielmo: Merci de nous avoir écoutés !
Guglielmo: Si cet épisode vous a plu, on vous invite à suivre AZERTY comme les 6 premières lettres du clavier sous les applications des podcasts.
Guglielmo: Vous y trouverez des versions un peu plus longues de nos émissions ou des bonus.
Guglielmo: N'hésitez pas aussi à nous laisser des étoiles ou des commentaires, ça aide toujours.
Guglielmo: A bientôt sur les ondes !
Jingle: AZERTY !
==/ Sous-titres générés avec IA (Whisper), editing et proofing par Guglielmo Fernandez Garcia /==
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